Communiqué de presse – vendredi 15 mai 2020
Rothschild & Co se dote de sa première politique sur le charbon. Malgré des seuils d’exclusion assez stricts, de nombreuses lacunes demeurent sur le périmètre de leur application. Rothschild & Co reconnaît les objectifs de sortie du charbon d’ici 2030 pour l’Europe et l’OCDE, et d’ici 2040 pour le reste du monde, mais rate une opportunité de conditionner ses investissements à toutes les entreprises de son portefeuille à l’adoption d’ici 2021 d’un plan de sortie du secteur du charbon.

La place financière de Paris s’est engagée à ce que ses membres – banques, assureurs et investisseurs – aient une politique de sortie du charbon d’ici mi-2020. Rothschild & Co, qui investit dans le secteur du charbon [1] et est actif dans le conseil à la vente et l’acquisition d’actifs charbon existants, n’en avait jusqu’alors aucune. Le groupe vient de rectifier cela en adoptant une politique qui couvre l’intégralité de la chaîne de valeur [2].

Rothschild & Co, jusqu’alors noté zéro à tous les critères du Coal Policy Tool va donc s’améliorer dans cet outil d’analyse et d’évaluation des politiques adoptées par les acteurs financiers sur le secteur du charbon [3].

Sont désormais exclues de tout nouvel investissement les entreprises :

  • qui développent de nouvelles mines de charbon thermique ou de centrales à charbon ;
  • plus de 30% du chiffre d’affaires provient des activités liées au charbon thermique ; ou plus de 30% du mix énergétique (par MWh généré) repose sur le charbon.
  • la production annuelle de charbon thermique dépasse 20 MT par an ;
  • les capacités installées fonctionnant au charbon sont supérieures à 10 GW.

Les critères sont plus faibles que ceux recommandés et déjà adoptés par plusieurs acteurs financiers français, mais c’est surtout l’application de ces critères qui est problématique.

  1. Rothschild & Co ne désinvestit pas mais s’engage à ne plus investir dans les entreprises répondant aux critères ci-dessus.
  2. Mais la suspension de tout nouvel investissement dans les entreprises très exposées au charbon n’est pas automatique : elle n’est appliquée qu’après une phase d’engagement, dont la durée n’est pas déterminée, et si l’entreprise n’a pas après cette phase d’engagement mis en oeuvre une stratégie de sortie du charbon, elle-même non précisée.
  3. Aucune stratégie de sortie du charbon n’est demandée aux entreprises sous les seuils d’exclusion.

Si un engagement est nécessaire pour pousser des entreprises à se doter d’une stratégie de sortie du charbon, celle-ci doit concerner toutes les entreprises restantes en portefeuilles, être définie dans le temps et reposée sur une demande précise d’adoption d’un plan progressif de fermeture des actifs afin de ne plus en opérer dans les pays de l’OCDE/EU d’ici 2030 et ailleurs d’ici 2040. Les meilleures pratiques donnent aux entreprises jusqu’au début 2021 pour adopter un tel plan de sortie commente Lucie Pinson, fondatrice et directrice de Reclaim Finance.

D’après le scénario P1 du GIEC, c’est 78% de la capacité existante de production d’électricité à partir du charbon qui doit fermer d’ici 2030. Nous n’avons pas de temps à perdre pour exiger des entreprises un plan de fermeture de leurs infrastructures. Ce sont donc ici de précieuses années qui sont perdues”.

Rothschild & co est aussi impliquée dans le charbon via sa banque d’affaires dans des mandats de conseil pour la vente et l’acquisition d’actifs charbon. Interrogée à ce sujet à l’occasion de son Assemblée générale hier [4], la banque a répondu qu’elle ne fournirait plus “aucun financement ni aucun conseil financier en lien avec des nouveaux projets liés au charbon thermique, d’extraction de charbon thermique, ou de nouvelles centrales à charbon”, ce qui à notre connaissance n’a jamais représenté une activité pour la banque.

Contrairement aux engagements pris l’année dernière [5] lors sa dernière assemblée générale, Rothschild & Co n’a toujours pas publié de règles et peut donc toujours continuer à aider les entreprises à se débarrasser de leurs centrales à charbon en les vendant au lieu de procéder à leur fermeture. Rothschild & Co doit rapidement combler cette grande lacune et en finir définitivement avec ce type de transactionsajoute Yann Louvel, analyste politique pour Reclaim Finance.

Également appelée à se désengager du secteur des gaz et pétrole de schiste, la banque a répondu être principalement exposée à des acteurs faiblement actifs dans les pétrole et gaz de schiste. En réalité, comme nous le montrons dans le rapport publié avec les Amis de la Terre France La place financière de Paris au fonds du puits [6] Rothschild & Co compte parmi les 6 investisseurs français à investir le plus dans le secteur avec 441 millions de dollars d’investissement dans les 75 entreprises qui prévoient la plus forte croissance de leur production de pétrole et gaz de schiste d’ici 2050. La banque a acheté des millions d’actions dans ces entreprises entre janvier 2020 et mars 2020. Et contrairement à ce que la banque affirme, 40% de ces investissements sont dans des entreprises ayant plus de 50% de leurs réserves d’énergies fossiles dans les gaz et pétrole de schiste.

« Le krach pétrolier n’a pas du tout freiné les ardeurs de Rothschild & Co dans les pétrole et gaz de schiste. Il a au contraire saisi l’aubaine pour augmenter ses investissement dans le secteur et se positionner en conseiller des entreprises au bord de la faillite, comme Chesapeake. Rothschild & Co doit renoncer à de tels paris à hauts risques climatiques et financiers« , conclut Lorette Philippot, chargée de campagne finance privée aux Amis de la Terre France.

Contacts presse : Reclaim Finance / Lucie Pinson | 06 79 54 37 15

Notes

[1] Rothschild & Co Asset Management détenait 22 millions de dollars en septembre 2019 d’actions et d’obligations dans 9 développeurs de nouvelles centrales, dont Fortum/Uniper qui sont en train d’ouvrir une nouvelle centrale à charbon en Allemagne et menacent de poursuivre devant un tribunal de règlement des différends les Pays-Bas pour s’opposer à sa décision de sortir du charbon: https://coalexit.org/investments-investor?name=Rothschild+Group
[2] Télécharger la politique charbon de Rothschild & Co en bas de cette page: https://www.rothschildandco.com/fr/who-we-are/responsabilite-entreprise/solutions-investissement-responsable-innovantes/
[3] Le Coal Policy Tool est disponible ici https://reclaimfinance.org/site/coal_policy_tool_fr/
Rothschild & Co obtient les notes suivantes dans l’outil : • 6 pour le critère des développeurs de charbon, • 4 pour le critère du seuil relatif d’exclusion, • 4 pour le critère des seuils absolus d’exclusion, • Pour le critère de la stratégie de sortie du charbon, une incertitude demeure. Reclaim Finance a contacté Rothschild & Co pour plus de précision.
[4] Voir les réponses de Rothschild & Co aux questions de Reclaim Finance et des Amis de la Terre France.
[5] Rothschild & Co a été impliquée ces dernières années dans plusieurs transactions controversées, la dernière en date étant la vente par Uniper de ses centrales à charbon en France à EPH. L’année dernière, interrogée lors de son Assemblée générale sur ce même sujet et en particulier sur l’aide apportée à l’entreprise indienne Adani dans la vente de parts détenues dans un terminal d’exportation charbonnier – transaction visant à lever des capitaux pour la mine géante de Carmichael en Australie – Rothschild & Co annonçait s’être désengagée du projet pour des raisons climatiques, et annonçait la publication en fin d’année de règles concernant les mandats de conseil liés à des projets charbon. Nous attendons toujours ces règles.
[6] Lire le rapport sur les investissements et financements des acteurs financiers français sur les gaz et pétrole de schiste: La Place financière au fond du puits, publié par Reclaim Finance et les Amis de la Terre France, mai 2020.