Les banques françaises BNP Paribas, Société Générale et Crédit Agricole se sont engagées à ne pas fournir de financement au projet hautement destructeur et controversé EACOP, deux semaines seulement après que Total ait signé une série d’accords avec les gouvernements ougandais et tanzanien pour commencer la construction de l’oléoduc. Un camouflet pour Total et un des ses projets phrases. C’est aussi un bel essai de la part des banques françaises qu’il va falloir désormais transformer en l’adoption d’une politique robuste conditionnant la totalité de leurs soutiens financiers à l’arrêt du développement de nouveaux projets pétroliers et gaziers. Enfin, à l’approche des assemblées générales, il s’agit pour les groupes bancaires d’agir en cohérence et d’assurer de la part de leur branche de gestion d’actifs un vote contre la stratégie climat de Total lors de l’assemblée générale de la major pétrolière le 28 mai prochain.

Ca y est, les banques françaises ont donc confié aux Echos qu’elles ne financeront pas le projet d’oléoduc EACOP de Total, un projet associé à celui du nom de Tilenga et qui consiste à ouvrir de nouvelles pétrolières dans la région des Grands Lacs en Afrique de l’Est. Cet engagement fait suite aux pressions exercées par la société civile, notamment à travers une lettre ouverte adressée par plus de 260 organisations africaines et internationales à 25 banques leur demandant de ne pas financer la construction de l’EACOP. Cette décision signifie que six banques se sont désormais engagées à se tenir à l’écart du projet, après que Barclays, Credit Suisse et ANZ aient pris des engagements similaires.

S’il a tout l’air d’un aveu peu assumé – aucune banque n’a voulu commenté publiquement sa décision – cet engagement constitue bien un camouflet majeur pour Total qui a tenté de se repositionner comme une entreprise responsable dans un processus de transition. Et non ! L’idée d’ouvrir un nouveau bassin pétrolier alors que la science indique qu’il nous faut renoncer à exploiter l’intégralité des réserves déjà en production ne convainc pas, y compris du côté des banques françaises pourtant connues pour souvent fermer les yeux devant les incohérences de leur bon client Total.

Les quatre plus grandes banques françaises ont accordé plus de 16 milliards de dollars de financement à Total SE entre 2016 et 2020, sous forme de prêts, d’actions et d’émissions obligataires. Le Crédit agricole occupe la première place avec 7,3 milliards de dollars de financement, suivi de BNP Paribas avec près de 6 milliards de dollas

1. Stopper EACOP pour de bon : Reclaim Finance, les Amis de la Terre France, BankTrack et toutes les organisations de l’alliance Stop EACOP ont salué l’engagement des trois banques françaises et ont appelé Natixis et les autres banques, à commencer par les trois conseillers financiers Standard Bank, SMBC et ICBC à suivre leur exemple.

Le projet qui contribuerait à l’émission de plus de 33 millions de tonnes de CO2 chaque année est une aberration dans un contexte d’urgence climatique. Mais c’est aussi un scandale social et environnemental. Le projet est déjà associé à de lourdes violations de droits humains et menace la biodiversité dont les espèces situées dans les grands parcs d’Ouganda et de Tanzanie.

2. Adopter une politique contre l’expansion des énergies fossiles : EACOP n’est qu’un des nouveaux projets pétroliers et gaziers de Total. Total alloue toujours plus de 80% de ses dépenses d’investissement aux énergies fossiles et c’est donc une part significative de ses dépenses qui sont orientées vers le développement de nouveaux projets incompatibles dans un scénario 1,5°C prudent en termes de développement de technologies de capture et de stockage du CO2.

Il est donc urgent que les banques françaises, notamment celles qui viennent de rejoindre la Net-Zero Banking Alliance, s’engagent à conditionner tout nouveau financement à Total à l’engagement de ne plus développer de nouveaux projets de production de pétrole et de gaz, à commencer par les plus sales et les plus risqués, par exemple ceux prévus dans l’Arctique.

3. Voter contre la stratégie climat de Total : Total consultera ses actionnaires lors de son AG le mois prochain sur une « stratégie climatique » sur le principe du Say on Climate. ONG et les plus de 500 investisseurs de la coalition CA100+ s’accordent à dire que cette stratégie ne permet pas à la major de s’aligner sur une trajectoire 1,5°C.

Étant donné que Total ne montre aucun signe d’abandon de sa soif de combustibles fossiles, les investisseurs devraient également agir et voter contre la stratégie climatique de la major lors de sa prochaine assemblée générale. C’est l’avis de Chris Hohn, de la très respectée fondation CIFF lié au Fonds d’investissement pour les enfants TCI, à l’initiative du Say on Climate. A un événement organisé par Follow this le 21 avril afin de discuter du rôle des investisseurs dans la définition des stratégies des majors pétrolières, il a déclaré :

« Il est évident que les actionnaires devraient voter contre les plans de transition proposés par Shell et Total et contre les administrateurs. Il est important que le monde interpelle les investisseurs qui ne le font pas, en leur jetant la honte et leur refusant de faire des affaires avec eux. »

« Nous devons avoir des objectifs. Les objectifs à cinq ans sont essentiels. Sans objectifs à court terme, nous n’irons nulle part, nous aurons de vagues engagements qui ne feront rien. Les objectifs et un plan pour les soutenir sont fondamentaux pour le changement dont nous avons besoin.  »

« C’est de l’écoblanchiment et de l’hypocrisie absolus que de dire que nous soutenons toutes ces bonnes choses sur le climat et de soutenir ensuite des plans qui ne mènent à aucune réduction. » 

Que décideront les investisseurs français actionnaires de Total ? Les investisseurs français détiennent plus de 13,8 milliards de dollars dans Total SE. 96% de ces investissements sont concentrés entre une douzaine de gestionnaires d’actifs. Amundi/Crédit Agricole, membre du CA100+, détient près de 9,7 milliards de dollars, notamment via le Plan Epargne Entreprise, ce qui en fait le 2ème actionnaire mondial de Total après BlackRock.

Pour aller plus loin :

Lire notre rapport, publié avec Greenpeace France, Total fait du sale: la finance complice ?

Consulter le site de l‘alliance d’ONG Stop EACOP.