Dans une interview accordée aux Echos (1), Philippe Brassac (Directeur général du Groupe Crédit Agricole) réaffirme quelques évidences sur l’urgence de développer les énergies renouvelables pour remplacer au plus vite les énergies fossiles. Un discours sensé mais qui relève encore de l’incantation vu l’absence de gage donné sur la manière dont le Crédit Agricole – 1er financeur de TotalEnergies depuis la COP21 (2) – entend faire baisser les émissions liées à l’ensemble de ses activités de financements, et ne plus soutenir l’expansion pétro-gazière de ses clients.
Financement des énergies renouvelables
Philippe Brassac affirme que “faire disparaître les énergies fossiles, oui, mais pour cela il faut d’abord massivement investir dans les énergies renouvelables pour qu’elles s’y substituent. Et c’est ce que nous faisons, et ce n’est pas du greenwashing.”
Comme le souligne Philippe Brassac, les énergies soutenables (3) doivent remplacer les énergies fossiles – et non s’y additionner. Par conséquent, les financements dans les énergies soutenables doivent drastiquement augmenter, tandis que ceux alloués aux énergies fossiles doivent diminuer. Mais à quel rythme ?
La transformation rapide et juste du système énergétique mondial suivant un rythme compatible avec l’objectif de limiter le réchauffement planétaire à 1,5°C nécessite que les financements annuels au secteur de l’énergie atteignent un ratio de 6:1 d’ici 2030 (4) – soit l’allocation de 6 dollars dans les énergies soutenables pour chaque dollar alloué aux énergies fossiles. C’est sur cette trajectoire cohérente avec le scénario Net Zero Emission by 2050 (NZE) de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) que Reclaim Finance invite les acteurs financiers à se placer (5).
Or, à ce stade, les engagements pris par Crédit Agricole à financer les énergies soutenables demeurent insuffisants (6). Certes, l’engagement à tripler les financements aux énergies renouvelables en France d’ici 2030 par rapport à 2020 est une bonne nouvelle. Cependant, Philippe Brassac souligne, à juste titre, que la transition énergétique doit s’opérer “de façon harmonieuse et juste, en particulier pour les pays émergents”. En tant que banque internationale, Crédit Agricole a un rôle majeur à jouer pour accélérer le déploiement du solaire et de l’éolien au-delà de la seule échelle française. Cela passe par l’adoption de cibles de financements cohérentes avec ce ratio 6:1 et centrées sur les solutions soutenables, excluant les fausses solutions.
Financement des entreprises de l’énergie
Philippe Brassac annonce que Crédit Agricole “réservera ses financements aux seuls énergéticiens qui prouvent de façon manifeste leur trajectoire de transition vers les énergies renouvelables, selon nos propres critères.”
Une ambition louable que Reclaim Finance pourra saluer si elle se traduit par un engagement, de la part de Crédit Agricole, à ne plus financer les entreprises dont la “trajectoire de transition” est incompatible avec l’objectif de limitation du réchauffement planétaire à 1,5°C – ce qui est incontestablement le cas de celles qui développent de nouveaux projets pétroliers et gaziers. Un tel engagement ferait écho aux propos tenus par Philippe Brassac lors de l’Assemblée générale du Crédit Agricole en mai 2023 lorsqu’il reconnaissait ne pas fermer les yeux sur les nouveaux projets développés par des entreprises comme TotalEnergies.
En l’état, Crédit Agricole ne publie pas les critères d’analyse auxquels Crédit Agricole soumet ses clients en vue de décider d’un éventuel soutien. Reclaim Finance sera donc très attentif aux critères choisis par le Crédit Agricole pour sélectionner les entreprises pour lesquelles la banque “réservera ses financements”.
A ce stade, la banque française continue de financer les développeurs d’énergies fossiles (à l’exception des entreprises “indépendantes” (7), comme le souligne la dernière transaction effectuée au profit d’Eni début janvier. (8)
Projet Papua LNG
En réponse à la demande de la journaliste Julia Lemarchand lui demandant si Crédit Agricole est prêt à renoncer à accompagner TotalEnergies sur son projet d’extraction et d’exportation de gaz fossile en Papouasie-Nouvelle-Guinée (Papua LNG), Philippe Brassac indique “Nous ne le finançons pas. Nous avons en cours un mandat de conseil pour le montage financier du projet, qui a été conclu il y a des années”.
Le montage financier précédant un possible financement, cela s’appelle “botter en touche”. Car Crédit Agricole ne s’engage ni à ne pas mener à terme son mandat de conseil, ni à ne pas financer le projet. La banque pourrait pourtant s’y engager en conformité avec son engagement à ne plus financer de nouveaux champs gaziers (9), puisque le projet Papua LNG, qui est susceptible de libérer plus de 200 millions de tonnes de gaz à effet de serre, comprend en effet l’ouverture de deux nouveaux champs gaziers.