Deux ans jour pour jour après que la finance française se soit engagée d’une seule voix à sortir du charbon, Reclaim Finance dresse le bilan. Le compte n’y est (toujours) pas. Si de plus en plus d’acteurs financiers ont adopté des politiques de sortie du charbon robustes, le reste de la place doit faire mieux. Également problématiques, deux géants ne se sont toujours pas engagés à sortir du charbon : Agirc-Arcco et Natixis Investment Managers. Et comme il ne suffit pas d’adopter une politique, il faut également et pleinement l’appliquer, Reclaim Finance place les grandes banques françaises sous surveillance renforcée.

Un engagement de la Place à sortir du charbon mais…

Il y a deux ans jour pour jour, suite à l’appel de Bruno Le Maire appelant banques, assureurs et investisseurs français à ce « qu’ils arrêtent définitivement de financer les activités les plus nocives pour le réchauffement climatique, en particulier le charbon, que ce soit les centrales ou les mines “, les principaux acteurs de la place financière française s’engageaient à sortir du charbon d’ici mi 2020. Sauf que deux ans plus tard, malgré l’adoption de politiques, le bilan reste très contrasté.

Agirc-Arrco et Natixis Investment Managers aux abonnés absents

Si la quasi-totalité de la place financière française a désormais une politique, deux poids lourds de la finance française n’ont toujours pas pris l’engagement de sortir du charbon.

De plus en plus de bons élèves mais une majorité qui peut mieux faire

24 des 54 acteurs financiers couverts dans le Coal Policy Tool français ont décroché l’étoile attribuée aux meilleures pratiques dans le secteur car leur politique comprend les éléments clés d’une politique robuste de sortie du charbon. Parmi eux, 4 acteurs financiers ont récemment mis à jour leur politique et rejoint le club des étoilés : MAIF, Covéa/Covéa Finance et Cardif. Les assureurs Covéa et Cardif, par exemple, ont largement renforcé leur politique d’exclusion des développeurs dans l’industrie du charbon.

27 des 54 acteurs financiers sont encore au milieu du gué. Il faut consulter le Coal Policy Tool pour savoir ce qu’il reste à faire à chaque acteur pour décrocher une étoile. Dans les grandes lignes, on constate que:

  • l’exclusion des développeurs n’est toujours pas systématique: une vingtaine d’institutions n’exclut pas ou peu les développeurs du charbon dans le monde. C’est par exemple le cas du ré/assureur Scor, d’Agrica, Groupama AM et Tobam. C’est particulièrement inquiétant étant donné que la Global Coal Exit List dénombre actuellement 437 entreprises (maison-mères) en passe d’aggraver la crise mondiale du charbon.
  • Il manque des dates butoires de sortie définitive du charbon. Une dizaine d’institutions n’ont pas encore adopté le calendrier de désengagement et ce, malgré le rappel à l’ordre de l’AMF et de l’ACPR fin 2020 qui préconisent de “formuler des politiques charbon avec notamment l’adoption d’une date de sortie”.
  • Trop d’exceptions à la règle. Par exemple, quand Société Générale n’applique sa politique d’exclusion qu’à l’entité qui opère directement la mine mais pas à sa maison-mère. Elle a ainsi octroyé un prêt à EPH malgré ses 40 millions de tonnes de charbon en 2020, au motif que la holding EPH n’opère pas directement les mines.

Sous surveillance renforcée : Crédit Agricole, Société Générale, BNP Paribas et Natixis

Natixis, Société Générale, BNP Paribas et Crédit Agricole se sont fixées comme date butoire fin 2021 pour exclure de leurs portefeuilles les entreprises qui n’ont pas adopté de plan de sortie crédible et alignés sur leur calendrier. Mais elles pourraient être tentées de maintenir leurs soutiens à leurs bons clients de l’industrie du charbon, même ceux qui n’ont pas de plan de sortie du charbon d’ici 2030/2040 et qu’elles doivent exclure d’ici la fin de l’année.

Entre octobre 2018 et octobre 2020, Crédit Agricole était le 1er soutien bancaire au monde de Kepco, l’industriel sud coréen qui prévoit de développer plus de 13 GW de centrales à charbon et le 4ème plus gros soutien de Glencore qui prévoit d’inaugurer neuf nouveaux projets miniers en Australie d’ici 2030. Le même Crédit Agricole qui a décroché une étoile dans le Coal Policy Tool et qui, pour respecter ses engagements et appliquer pleinement sa politique, doit impérativement cesser de soutenir toutes les entreprises qui n’ont pas prévu de sortir du charbon à l’horizon fixé par la banque. La même question se pose pour Natixis qui soutient également Glencore, BNP Paribas, un soutien historique de RWE et pour Société Générale qui a récemment octroyé un nouveau prêt à EPH, l’énergéticien européen qui prévoit pourtant d’exploiter ses mines et certaines de ses centrales à charbon bien au-delà de 2030.

Nous plaçons ces banques sous surveillance renforcée jusqu’à ce qu’elles appliquent pleinement leurs politiques. Si ces banques choisissent de faire des exceptions ou d’utiliser des échappatoires, elles détruiraient à elles seules la crédibilité de toute la place financière française.

La crédibilité de la finance verte française en jeu

Un échec de la place financière française à sortir réellement et concrètement du charbon serait de très mauvaise augure pour la capitale de la finance verte dont Bruno Le Maire aimerait pouvoir se vanter au G20, au Climate Finance Day et à la COP 26 à Glasgow (sans compter que la place financière de Londres se positionne aussi pour rafler le titre).

Il reste beaucoup à faire pour parler d’une finance française exemplaire. Pas seulement pour se désengager du charbon mais aussi pour programmer la sortie progressive du pétrole et du gaz. Et sur ce point, notre récente évaluation montre que tout reste à faire : tous les acteurs financiers français peuvent encore soutenir l’expansion pétrogazière et n’ont pas prévu d’en sortir même lorsque ceux-ci concentrent tous les risques ESG (forages en Arctique et en eaux très profondes, sables bitumineux, pétrole et gaz de schiste…).

Il reste moins de six mois pour rendre une copie recevable à la COP 26 et il faudra plus que les bonnes volontés des acteurs financiers individuels pour répondre aux ambitions et engagements de Bruno Le Maire et des fédérations professionnelles de la place de Paris. Il serait temps que le Ministre mette en place le cadre règlementaire contraignant sur lequel il s’engageait il y a deux ans.

Pour aller plus loin :