Décryptage pré-AG (& réaction post-AG à venir) ↓

Alors que nous révélions il y a quelques semaines que Société Générale avait apporté $34 milliards aux 100 entreprises développant le plus d’énergies fossiles (1), les timides annonces lors de la publication de leur politique début 2022 (2) ne marquent pas de changement de trajectoire. Les insuffisances de la politique du groupe laissent malheureusement à Société Générale une large marge de manœuvre pour poursuivre ses soutiens aux grandes entreprises diversifiées qui sont au cœur des développements pétro-gazier. Nous appelons Société Générale à cesser tout soutien aux nouveaux projets pétroliers et gaziers et à ceux qui les développent.

Des mesures inefficaces contre l’expansion pétro-gazière

En 2021, Société Générale s’est engagé à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 compatible avec une trajectoire +1,5°C. Mais derrière les discours, les actes ne suivent pas : alors que l’Agence internationale de l’énergie (AIE) dans son scénario Net zéro (3) trace comme ligne rouge la fin de l’expansion dans les énergies fossiles pour limiter le réchauffement climatique à +1,5°C, Société Générale peut encore soutenir directement et indirectement les nouveaux projets de production pétroliers et gaz.

La politique de Société Générale n’exclut les financements dédiés qu’à certains champs et infrastructures de pétrole et de gaz non-conventionnels sur une partie seulement de la chaîne de valeur (4), et peut donc continuer à financer de nouveaux projets pétroliers et gaziers conventionnels. Au-delà des projets, Société Générale a un objectif de réduction de 10 % de son exposition globale à l’extraction pétrogazière d’ici à 2025 par rapport à 2019, et exclut les entreprises dont le pétrole et gaz de schiste, les sables bitumineux et pétrole extra-lourd, le pétrole en Arctique (5) et en Amazonie équatorienne représentent, cumulé, plus de 30% de l’activité (6). Cependant, sans exclure spécifiquement les entreprises développant de nouveaux champs et infrastructures de pétrole et de gaz, y compris dans ces secteurs pourtant reconnus comme problématiques, les mesures sont très insuffisantes pour permettre à la banque de respecter ses propres engagements climatiques.

Le schiste au coeur de ses financements

Depuis l’Accord de Paris, Société Générale a été le septième soutien d’ExxonMobil, premier producteur et deuxième développeur de pétrole et gaz de schiste au monde en 2021, et le neuvième soutien de Chevron, troisième développeur de pétrole et de gaz de schiste au monde (7). En 2021, le directeur général de Société Générale Frédéric Oudea déclarait arrêter dès maintenant les financements de pétrole et de gaz de schiste, pour être sortis de ces activités en 2023. La réalité est bien moins réjouissante que l’effet d’annonce : Société Générale pourra continuer à soutenir les entreprises développant des projets de gaz de schiste, du moment que les non-conventionnels représentent moins de 30% de l’activité. Pour réellement mettre fin aux soutiens dans les pétrole et gaz de schiste, la première chose à faire pour Société Générale est d’arrêter dès maintenant tout produit ou service financier aux entreprises qui se développent dans ce secteur.

Un rôle moteur sur le gaz naturel liquéfié (GNL)

Les développements de nouvelles infrastructures de GNL nous enferment dans un futur carboné en raison des effets de “lock-in”, comme le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) le met en avant dans son dernier rapport. Depuis l’accord de Paris, Société Générale est le 7e soutien bancaire au monde aux 30 entreprises les plus actives dans le GNL (8). La politique de Société Générale exclut de ses financements dédiés les nouveaux projets ou expansions importantes de la production ou de l’exportation de GNL en Amérique du Nord mais ne couvre ni les autres infrastructures de transport et transformation, ni les entreprises au cœur de ces projets. Par conséquent Société Générale peut poursuivre son implication dans le projet Mozambique LNG de TotalEnergies et son mandat de conseil financier qui pourrait aboutir au financement de deux nouveaux projets de GNL aux Etats-Unis : Rio Grande LNG et Driftwood LNG (9).

Un soutien persistant au charbon

En 2021, Société Générale a continué à soutenir financièrement l’extraction du charbon à travers l’octroi de prêts et l’émission de titres de plusieurs sociétés actives dans le secteur minier. Les entreprises minières EPH, RWE et Glencore ont ainsi bénéficié d’un soutien financier total de $864 millions en 2021. Pourtant, celles-ci dépassent amplement le seuil d’exclusion de 10 Mt portant sur la production annuelle de charbon qui a été fixé par Société Générale : elles produisent respectivement plus de 3 fois, 5 fois et 9 fois plus que celui-ci ! En cause, des failles majeures dans la politique d’exclusion sectorielle charbon de la banque, qui lui permet toujours de soutenir les géants miniers européens et mondiaux.

Il est temps pour Société Générale de passer des paroles aux actes et de tenir ses engagements. L’assemblée générale de la banque approche et on attend de Société Générale qu’elle sorte du silence et prenne des mesures fortes pour stopper ses soutiens aux projets de GNL à travers le monde et aux entreprises qui les développent.

Notes :

  1. Banking On Climate Chaos, 2022.
  2. Société Générale, Politique sectorielle Pétrole et Gaz, 2022.
  3. Agence internationale de l’énergie, Net Zero by 2050, 2021.
  4. Parmi les non-conventionnels, Société Générale comprend dans sa politique les activités upstream et midstream liées aux sables bitumineux, au pétrole extra-lourd, au pétrole en Arctique et en Amazonie équatorienne, ainsi que les activités upstream des pétrole et gaz de schiste.
  5. Société Générale n’inclut pas le gaz et ne prend pas en compte le périmètre Arctic Monitoring and Assessment Programme (AMAP) du conseil de l’Arctique mais une définition restreinte de l’Arctique, faisant l’impasse sur 28% des champs de pétrole et de gaz de la zone.
  6. L’activité est mesurée par la production pour les entreprises d’exploration et production et les revenus pour les entreprises diversifiées.
  7. Urgewald, Global Oil and Gas Exit List, 2021.
  8. Banking On Climate Chaos, 2022.
  9. Société Générale a participé par le passé au financement d’au moins quatre terminaux d’exportation de gaz de schiste aux États-Unis : Corpus Christi LNG, Cove Point LNG, Freeport LNG, Sabine Pass LNG. Elle se distingue aussi par le fait qu’elle ne se contente pas de financer ces infrastructures, elle conseille souvent leurs promoteurs sur l’ensemble du processus de développement des projets – comme pour Sabine Pass LNG, Corpus Christi LNG, Goldboro LNG, GNL Québec, Driftwood LNG et Rio Grande LNG.

Réaction à l’AG de Société Générale :

Louis-Maxence Delaporte, Chargé de campagne chez Reclaim Finance : « Reconnaissez-vous l’impératif climatique qui nécessite de stopper tout soutien à l’expansion pétro-gazière et pouvez-vous nous donner une feuille de route pour y parvenir d’ici la #cop27 ? »


Diony Lebot, Directrice générale déléguée de
Société Générale : « Tout conduit à dire qu’il faut des actions plus fortes, des accélérations et qu’il faut aller vers une économie moins carbonée, c’est une évidence. Je pense qu’en ce qui concerne la Société Générale, nous avons pris des engagements forts. Nous étions la première banque à prendre des engagements de réduction en valeur absolue de nos financements dans l’exploration pétrole et gaz. Nous travaillons de façon extrêmement étroite et en conduisant la plupart des groupes de travail méthodologiques au sein de cette alliance que j’ai décrite, NZBA, pour tracer cette trajectoire en lien avec ces données scientifiques et les scénarios que vous décrivez, que nous continuerons bien sûr à examiner en prenant en compte par ailleurs, les autres impératifs. (…) Les compagnies pétrolières se sont adaptées et investissent beaucoup dans la transition et le renouvelable, donc cette action concertée avec les industriels au sein de coalitions est absolument indispensable au vu des enjeux. Seule une action collective sera impactante et efficace. »

Lors de son assemblée générale, la Société Générale a tenté de ménager la chèvre et le chou.

Tout en soutenant qu’elle avait réduit ses financements dans l’exploration de futures réserves de pétrole et de gaz car il fallait « aller vers une économie moins carbonée », la banque française n’en continue pas moins de financer les développements de nouveaux projets pétroliers et gaziers à court terme, en finançant les grandes entreprises pétro-gazières comme ExxonMobil et Chevron ou TotalEnergies.

Interpellée pendant l’assemblée générale à ce sujet, Société Générale s’est défendu en disant accompagner la transition de ces entreprises. Cet argument ne tient pas la route : loin d’être en transition, ces entreprises font toutes partie des 10 principaux développeurs au monde, avec de nouveaux projets pétroliers et gaziers, ce qui est incompatible avec un scénario +1,5°C comme le mettent en avant l’Agence internationale de l’énergie et le dernier rapport du GIEC. La stratégie de Société Générale est incohérente et incompatible avec la science climatique.

Etant donné que Société Générale a rejoint la Net Zero Banking Alliance l’engageant à aligner ses portefeuilles avec l’objectif d’1,5°C, il est impératif que le groupe acte rapidement la fin de ses soutiens à l’expansion pétro-gazière. Il est temps pour Société Générale de faire un choix : le climat ou les énergies fossiles.