TotalEnergies vient d’émettre une nouvelle obligation de 3 milliards de dollars, la deuxième cette année après la première levée de 4,25 milliards de dollars en avril. Parmi les banques impliquées se trouvent respectivement Société Générale et Banque Populaire Caisse d’Epargne (BPCE) (1), de quoi plomber la crédibilité de leurs engagements climatiques. BNP Paribas et Crédit Agricole n’y ont, elles, pas participé, en accord avec leurs annonces de ne plus soutenir ce type de financement pour les entreprises productrices de pétrole et de gaz. Si cela confirme très nettement la ligne de fracture qui s’est dessinée au premier semestre 2024 entre les banques pro-climat et celles aux comportements climaticides, un angle mort demeure dans la feuille de route de BNP Paribas et Crédit Agricole : le gaz naturel liquéfié.
Petit rappel des éléments du débat : en rejoignant la Net Zero Banking Alliance (NZBA) en 2021, les 4 grandes banques françaises se sont toutes engagées à transformer leurs activités de manière à contribuer à contenir le réchauffement à 1,5°C. La même année, alors que les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) alertaient une nouvelle fois sur les dangers d’ouvrir de nouvelles infrastructures émettrices de gaz à effet de serre, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) projetait dans un scénario NZE / 1,5°C l’arrêt du développement de nouveaux champs pétroliers et gaziers, auxquels se sont ajoutés un an plus tard les nouveaux terminaux d’exportation de gaz naturel liquéfié.
Trois ans plus tard, si certaines banques françaises ont bien engagé la mise en cohérence de leurs pratiques avec ces nouveaux paramètres, d’autres refusent de rompre avec un modèle énergétique fondé sur l’exploitation des énergies fossiles.
Avec BPCE et Société Générale, toujours plus d’extraction pétro-gazière
Les récentes émissions obligataires soutenues par BPCE et Société Générale au profit de TotalEnergies ne sont que l’arbre qui cache la forêt. Alors que BNP Paribas s’est tenu à l’écart des transactions au bénéfice des grandes entreprises productrices de pétrole et de gaz depuis le début de l’année (2), BPCE et Société Générale en ont respectivement soutenu 10 et 4 (3).
A chacune de ces transactions, les deux banques françaises violent leur promesse, faite en 2021, de transformer leurs activités de manière à contribuer à contenir le réchauffement à 1,5°C. Car l’argent soulevé grâce à leur intermédiation servira en premier lieu le maintien et le développement de l’extraction pétrolière et gazière. Les faits battent en brèche l’hypothèse d’une transition du secteur : la quasi-totalité des entreprises du secteur développent de nouveaux projets pétroliers et gaziers et les majors n’ont investi en moyenne que moins de 9% de leurs CAPEX dans les activités “bas carbone” en 2022, soit 3% des investissements globaux.
BNP Paribas et Crédit Agricole devant Société Générale et surtout BPCE
D’après une étude de Reclaim Finance, plus de 82% des financements octroyés par les banques françaises aux majors pétrolières et gazières européennes entre 2020 et 2023 sont allés au pétrole et au gaz. Prenant acte de ce pourcentage, et ne souhaitant plus contribuer à l’expansion des énergies fossiles et l’aggravation du dérèglement climatique qui lui est corollaire, BNP Paribas et Crédit Agricole ont arrêté d’émettre des obligations conventionnelles pour les entreprises du secteur. Elles autorisent encore des obligations vertes, et donc fléchées vers des activités hors des énergies fossiles, une manière de ne pas tourner totalement le dos aux majors et de continuer de financer le développement de projets d’énergies renouvelables sans lesquels aucune transition n’est possible (4).
Demeure toutefois toujours la possibilité pour BNP Paribas et Crédit Agricole d’octroyer des nouveaux prêts, fléchés ou non fléchés, aux entreprises du secteur et donc de participer à leur expansion pétro-gazière. Cela relève davantage de la théorie pour BNP Paribas (5). Le risque est bien plus réel pour Crédit Agricole qui n’a adopté qu’une cible assez faible de baisse de son exposition au pétrole à l’horizon 2025 (6) et a octroyé en mars 2024 un prêt à Mitsui & Co, 39ème entreprise au monde à développer le plus de nouveaux champs pétroliers et gaziers. Ces deux banques seraient donc avisées de confirmer leurs ambitions climatiques en répliquant leur annonce sur les obligations d’un engagement à ne plus octroyer de prêts non fléchés aux développeurs de nouveaux champs pétroliers et gaziers.
Tout reste à faire ou presque pour Société Générale (7) et BPCE qui n’ont en rien renoncé aux profits tirés de leurs soutiens aux développeurs pétro-gaziers, en particulier ceux issus de leur intermédiation dans l’émission d’obligations. La situation est particulièrement inquiétante pour BPCE qui semble avoir tiré un trait sur toute ambition en matière climatique. Non seulement le groupe peut encore financer directement de nouveaux champs gaziers mais il n’a adopté qu’une cible peu engageante de réduction des émissions financées liées au secteur (8).
Un soutien encore massif au GNL
Si BNP Paribas et Crédit Agricole ont fait des avancées notables ces dernières mois, elles n’en ont pas pour autant fini avec l’expansion pétro-gazière qu’elles peuvent encore soutenir à travers des soutiens directs et indirects au développement de terminaux d’exportation de gaz naturel liquéfié. Comme BPCE et Société Générale, les deux banques accordent encore de lourds soutiens à ces infrastructures qui entravent pourtant tout autant que les nouveaux champs pétroliers et gaziers nos chances de limiter le réchauffement à 1,5°C. Ainsi, nous avons relevé respectivement 12 et 14 transactions (prêts et souscriptions obligataires) de la part de BNP Paribas et Crédit Agricole à ces entreprises entre janvier et mai 2024.
La dernière émission obligataire pour TotalEnergies rappelle le soutien des 4 grandes banques françaises à l’expansion pétro-gazière et des progrès que chacune doit encore faire, à une échelle différente, pour respecter pleinement ses engagements climatiques. Si le retard pris par BPCE et dans une moindre mesure Société Générale est préoccupant, BNP Paribas et surtout Crédit Agricole doivent elles aussi transformer l’essai en prolongeant leur annonce sur les obligations pour le secteur pétro-gazier aux prêts et au gaz naturel liquéfié. Alors que plusieurs de leurs clients – BP, Energy Transfer, Eni, Sempra, Shell – remboursement prochainement leur crédit, nous serons attentifs à leur potentiel renouvellement par les banques françaises.