Alors que la demande d’électricité continue d’augmenter au niveau mondial [1], la décarbonation du secteur de l’électricité est essentielle pour atteindre la neutralité carbone. Il faut pour cela accélérer l’expansion en cours de l’approvisionnement en électricité soutenable, mais en remplacement des énergies fossiles, et non en superposition comme c’est le cas actuellement. Dans cette optique, le financement de nouvelles centrales à gaz devrait être exclu, car il entrave la transition énergétique et les objectifs climatiques.
Le gaz n’est pas une source d’énergie de « transition », même en remplacement du charbon
Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la production d’électricité doit atteindre des émissions nettes nulles d’ici 2035 dans les « économies avancées » (pays de l’OCDE et européens) et à l’échelle mondiale d’ici 2040, et fournir près de la moitié de la consommation totale d’énergie [2].
Bien que la combustion du gaz fossile émette environ la moitié du CO2 de celle du charbon [3], le gaz – principalement composé de méthane – a un impact bien plus important lors de l’extraction et du transport. Des fuites de méthane se produisent tout au long de la chaîne d’approvisionnement, et ce gaz à effet de serre a un potentiel de réchauffement 83 fois supérieur à celui du CO2 sur 20 ans [4], contribuant à environ 30 % de l’augmentation de la température mondiale depuis la révolution industrielle. Comme le souligne l’AIE, la réduction des émissions de méthane est cruciale [5], et la construction de nouvelles centrales à gaz pour remplacer le charbon n’est pas une solution viable pour décarboner le secteur énergétique.
La demande de gaz fossile est déjà en déclin
Dans tous les scénarios de l’AIE, y compris le scénario Stated Policies (STEPS), le pic de la demande de gaz fossile, y compris pour la production d’électricité, est attendu avant 2030 [6]. C’est notamment le cas dans les économies avancées où la demande est déjà en baisse [7]. Par conséquent, la construction de nouvelles centrales à gaz, dont la durée de vie varie de 25 à 40 ans, est incohérente avec cette tendance.
En dehors des pays de l’OCDE, la légère augmentation de la consommation de gaz observée dans certaines régions est peu susceptible de stimuler significativement la demande mondiale, par exemple dans les pays asiatiques [8], en raison de la faible compétitivité du gaz par rapport aux énergies renouvelables. Il est préférable pour ces pays de développer une production d’électricité indépendante des importations de gaz, qui sont volatiles et souvent non compétitives. Le récent revirement du Pakistan sur ses plans d’importation de gaz en est une illustration significative [9].
La conversion future des centrales à gaz est irréaliste
La construction de nouvelles centrales à gaz est parfois justifiée par une hypothétique conversion future pour utiliser des combustibles alternatifs comme l’hydrogène, le biogaz et le biométhane, ou par l’ajout de capture de carbone (CCUS) pour réduire les émissions de la centrale.
Pourtant, l’écart considérable entre le volume de consommation de gaz fossile et les volumes de combustibles alternatifs disponibles [10], ainsi que les échecs constants du CCUS à tenir ses promesses, rendent ces conversions hautement irréalistes. Cela est d’autant plus vrai que les volumes projetés pour les combustibles alternatifs et les réductions d’émissions par le CCUS sont continuellement révisés à la baisse avec chaque mise à jour du NZE.
En particulier, la prétendue « hydrogen-readiness » tient plus du mythe que de la réalité, car elle nécessite des investissements massifs pour un gain climatique très limité. Il est également important de noter que la chaîne d’approvisionnement en hydrogène en remplacement du gaz fossile est actuellement quasiment inexistante et que l’hydrogène vert est – et restera – très coûteux à produire [11]. Il est très peu probable que de telles centrales puissent concurrencer des options soutenables déjà matures, telles que l’éolien et le solaire.
La priorité devrait être l’accélération de l’approvisionnement en électricité soutenable
La réduction de la demande de gaz fossile projetée par l’AIE est largement due à l’accélération du déploiement des énergies renouvelables – qui répondront à 95 % de la croissance de la demande d’électricité [12] -, aux gains d’efficacité et à l’électrification des usages finaux. Dans ce contexte, et selon plusieurs modèles de l’AIE, le rôle des centrales fossiles sera essentiellement de fournir une flexibilité saisonnière, et le stock actuel de centrales fossiles déjà existantes est suffisant [13].
L’économie à long terme des centrales à gaz, comparée aux sources d’énergie soutenables, évolue rapidement. Dans de nombreux cas, y compris en Europe et dans certaines parties des États-Unis, les opérateurs de batteries fournissent déjà de l’électricité de secours aux réseaux à des prix compétitifs avec ceux des centrales à gaz [14]. La voie à suivre repose sur une augmentation massive des nouvelles capacités solaires et éoliennes déjà déployées [15], associées à des batteries matures et des interconnexions pour la flexibilité.
Les stratégies climatiques des banques n’intègrent pas de politiques dédiées au secteur de l’électricité
La prolifération des cibles de décarbonation pour le secteur de la production d’électricité parmi les banques montre qu’elles reconnaissent l’importance d’une approche spécifique pour ce secteur [16]. Le principal problème reste que les banques ne détaillent pas si et comment ces cibles influencent l’allocation de leur soutien financier au secteur et contribuent réellement à sa décarbonation.
Les politiques sectorielles pour l’approvisionnement en électricité, encadrant la réorientation de leur financement vers le secteur en cohérence avec une trajectoire crédible de zéro émission nette, devraient être au cœur des stratégies climatiques des banques. Cela nécessite qu’elles cessent de financer le développement de nouvelles centrales à gaz et augmentent massivement leur soutien à l’approvisionnement en électricité soutenable – principalement l’éolien, le solaire, les réseaux électriques et le stockage. Jusqu’à présent, parmi les 60 principales banques mondiales évaluées dans le Sustainable Power Policy Tracker, aucune n’a publié une telle politique. Et même parmi celles qui ont déjà franchi une première étape, comme BNP Paribas, il reste encore beaucoup à faire pour atteindre des engagements solides.
Le virage vers un système énergétique basé sur un approvisionnement en électricité soutenable est en cours, et les banques devraient appuyer cette dynamique. Les cibles de décarbonation du secteur de l’électricité seules sont insuffisantes pour s’aligner sur une trajectoire de « net-zéro » ; les banques devraient adopter de toute urgence des politiques spécifiques, ciblant les activités de financement pour le secteur de l’électricité. Une telle politique robuste devrait démontrer comment la banque entend transformer ses soutiens financiers au secteur. Cela signifie au moins inclure des mesures pour arrêter le financement direct et indirect de nouvelles centrales à gaz [17] et fixer des objectifs pour le financement d’alternatives soutenables. Cela devrait également se traduire par un engagement à atteindre un ratio de financement de l’approvisionnement énergétique robuste de 6:1 d’ici 2030.