Depuis janvier 2025, le nouveau label ISR français est entré en application. Les gestionnaires d’actifs ont donc dû faire le choix pour leurs fonds labellisés de garder le label ou de l’abandonner, en refusant d’appliquer les nouveaux critères. Un tiers des fonds (1) a ainsi choisi de l’abandonner, montrant les limites de labels fondés sur la bonne volonté des gestionnaires d’actifs. Cette vague de dé-labellisations met en évidence la nécessité d’un cadre exigeant excluant le soutien au développement des énergies fossiles pour tous les fonds à prétention sociale ou environnementale. Reclaim Finance appelle à inscrire ces exclusions essentielles pour mettre fin au greenwashing dans la refonte du cadre européen (SFDR) prévue cette année.
En décembre 2023, le ministère de l’Economie et des Finances publiait le nouveau référentiel du label ISR (2). En excluant les entreprises qui développent de nouveaux projets de charbon, de pétrole ou de gaz, le gouvernement faisait de l’impératif exprimé par le GIEC, l’ONU et l’Agence internationale de l’énergie (AIE) – de mettre fin à l’expansion fossile pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C (3) – la base de la responsabilité dans un contexte d’urgence climatique.
Un ménage (tardif) dans les fonds labellisés
Depuis cette date, les exclusions dans les énergies fossiles et les autres ajustements réalisés par les fonds pour se mettre à niveau avec le nouveau label ont permis dans une certaine mesure de faire le ménage et réduire le greenwashing pratiqué, le label ISR restant l’un des principaux repères aujourd’hui pour l’épargnant en quête de fonds plus durables. Mais la perte du label pour un tiers des fonds anciennement ISR illustre bien l’absence de rigueur qui règne depuis des années dans le marché des fonds à dénomination durable, au détriment des épargnants, ainsi que les limites d’un label volontaire non contraignant, pouvant être abandonné à tout moment.
Pendant des années, des milliers d’épargnants ont en effet investi dans ces fonds en pensant soutenir une finance durable et des fonds aux critères exigeants, alors qu’en réalité, de nombreux fonds labellisés continuaient à financer des entreprises climaticides. Ces investisseurs ont ainsi été trompés, victimes d’un cadre trop permissif. Par ailleurs, pour ceux d’entre eux qui aujourd’hui se retrouvent investis dans des fonds ayant “perdu” leur label, il existe un risque que la tromperie continue. Si ces épargnants n’ont pas été informés de la perte du label et n’ont pas eu l’opportunité de changer de fonds pour garder un fonds labellisé, ils soutiennent encore sans le savoir l’expansion fossile.
Les limites d’un label pour transformer la finance
Les gestionnaires d’actifs qui renoncent au label lorsqu’il devient plus contraignant envoient un signal clair : la finance ne se transforme pas d’elle-même, elle doit être strictement encadrée pour devenir plus responsable et plus durable. Un label, aussi renforcé soit-il, ne suffira pas à lui seul à garantir une finance alignée avec les objectifs climatiques. Dans l’écosystème des fonds “durables”, une simple comparaison entre le nombre de fonds labellisés ISR (967) et le nombre des fonds promouvant des caractéristiques ESG diverses et variées vendus en France (plus de 4000 (4)) permet de mesurer l’ampleur du travail restant à faire pour assurer une exclusion des entreprises développant des énergies fossiles de l’ensemble de ces fonds. Pour s’assurer que les investisseurs prennent leurs responsabilités, les régulateurs devront aller plus loin et imposer des régulations contraignantes.
Exemples de fonds illustrant les limites du système de labels volontaires :
Nom du fonds | Nombre d’entreprises développant de nouveaux projets d’énergies fossiles détenues par le fonds (5) | Explication de la limite des labels |
---|---|---|
Amundi Index MSCI Emerging ESG Leaders | 15
Par exemple : Saudi Arabian Oil Company |
Fonds ayant décidé de ne pas garder le label ISR au 1er janvier 2025 |
Amundi Index Euro Corporate SRI | 43
Par exemple : Dow Chemical |
Fonds ayant décidé de ne pas garder le label ISR au 1er janvier 2025 (mais dont le nom contient toujours le terme “SRI” soit “socially responsible investing”) |
Amundi Label Equilibre ESR | 6
Par exemple : TotalEnergies |
Fonds n’ayant jamais eu le label ISR, mais étant labellisé par le CIES (6) (Comité Intersyndicale de l’Epargne Salariale) |
Réguler pour empêcher le greenwashing
L’exemple du label ISR doit servir de leçon : tant qu’aucune exigence minimale stricte n’est imposée aux gestionnaires d’actifs, des fonds dits « responsables » continueront d’être liés à l’expansion des énergies fossiles. La mise à jour du règlement SFDR, annoncé pour Q3 2025, représente une opportunité cruciale pour rectifier le tir au niveau européen. Toute dénomination durable pour un produit d’investissement doit garantir l’exclusion des entreprises impliquées dans le développement des énergies fossiles (7). L’AMF demandait d’ailleurs déjà des mesures similaires dans une proposition publiée en 2023 (8). Les régulateurs doivent non seulement fixer ces règles, mais aussi s’assurer par la suite de leur application stricte pour garantir aux épargnants une information non trompeuse.
Le ménage permis par la mise en application des nouvelles règles du label ISR illustre surtout le fait que les épargnants ont été les premiers à souffrir de ce système laxiste. Au-delà de la question des fonds labellisés ISR, qui aujourd’hui leur donnent enfin une certaine clarté avec l’exclusion d’une partie du secteur fossile (9), le manque d’action des régulateurs européens et nationaux retarde la transition du système financier. Ainsi, si la révision du label ISR était nécessaire, elle met une nouvelle fois en lumière le besoin de règles strictes, notamment via la révision de la SFDR, pour permettre la transition du secteur financier.