Les assemblées générales des actionnaires (AG) des entreprises européennes et anglo-saxonnes se tiendront d’avril à juin prochain. Il s’agit d’un rendez-vous crucial pour tester la crédibilité et l’efficacité de “l’engagement actionnarial” des investisseurs en faveur du climat. Quels enjeux climatiques clés structureront les AG de 2022 ? Les investisseurs sont-ils prêts à y faire face ? Décryptage

La plupart des points abordés lors des AG relèvent de la gestion ordinaire (comptes, dividendes, nomination des administrateurs, etc.) mais les enjeux environnementaux et sociaux s’imposent de plus en plus comme sujets légitimes de discussion (1). En 2022, trois questions climatiques vont occuper le devant de la scène.

“Say on Climate”: un test décisif pour la crédibilité des votes sur les plans climat

La consultation des actionnaires sur la stratégie climat des entreprises – également appelée “Say on Climate” – sera le premier enjeu climatique à suivre lors des AG. Cinq des six major pétrolières européennes ont déjà confirmé une consultation de ce type en 2022 (2). En France, le Forum pour l’investissement responsable (FIR) a appelé l’ensemble des entreprises à généraliser cette pratique. Au-delà de TotalEnergies, Engie a également confirmé la présentation d’un Say on Climate lors de son AG. Il faudra être particulièrement vigilant sur le format et, surtout, sur le contenu de ces mécanismes de consultation des actionnaires. En 2021, de nombreux investisseurs avaient plébiscité des plans lacunaires et non alignés, jetant le doute sur l’utilité de tels votes. Les premières annonces d’Engie et de TotalEnergies laissent planer le même risque cette année.

A ce jour, peu d’investisseurs ont exprimé leurs attentes minimales sur le contenu des “Say on Climate”. Les agences de conseil en vote ISS et Proxinvest ont certes intégré un cadre d’analyse de ces résolutions à leur politique de vote mais privilégient toujours une analyse au cas par cas. Cette absence de formalisation est d’autant plus préoccupante que les investisseurs ont montré l’année dernière qu’ils se souciaient davantage de l’apparence d’une action climatique (la présentation d’un plan climat) que de sa portée matérielle (la qualité et le contenu dudit plan).

Sortie du charbon : L’heure est aux votes-sanction

Deuxième sujet crucial pour les AG: enfin acter la fin du charbon en poussant les entreprises à adopter des plans de sortie crédibles. Alors que le Secrétaire Général des Nations Unies a déclaré que “le charbon étouffe l’humanité”, la plupart des entreprises du secteur ne disposent toujours pas de plans de sortie satisfaisants et les investisseurs français possèdent encore plus de 15 milliards de dollars d’investissements dans le charbon (3). Les AG 2022 doivent être l’occasion de voter frontalement et systématiquement contre les développeurs de nouveaux projets (4) mais aussi d’obtenir des engagements à fermer les mines et centrales, plutôt que de les vendre ou les convertir à d’autres énergies non-soutenables comme le font notamment Engie ou Albioma.

Là encore, les stratégies d’engagement des investisseurs ne sont pas à la hauteur. Si 60% des politiques des investisseurs français analysées par Reclaim Finance (5) demandent bien la publication d’un plan de sortie avant 2022, ces demandes ne sont pas suffisamment précises et 35% ne mentionnent pas l’impératif de fermer définitivement les mines et centrales. D’importants progrès restent aussi à faire sur la sanction par le vote des développeurs de charbon investis via la gestion passive: une analyse des votes d’Amundi en 2021 montre ainsi un large soutien (78% de votes en faveur) aux résolutions proposées par la direction de 13 grands développeurs de charbon, dont Glencore, qui se place pourtant parmi les 10 principaux développeurs de nouvelles capacités de production de charbon et qui continuera à opérer ses mines après 2050.

Expansion pétro-gazière : la nouvelle frontière de l’engagement actionnarial

Dernier enjeu, et nouvelle frontière pour l’engagement actionnarial : l’arrêt du développement de nouveaux projets pétroliers et gaziers. D’après l’Agence internationale de l’énergie, il s’agit d’une condition clé pour limiter le réchauffement à 1,5°C. Or malgré leurs engagements “net zéro” et leurs “plans de transition”, aucune des majors pétro-gazières ne remplit cette condition. S’il est souhaitable que les investisseurs accompagnent la transition de ce secteur, il est incompréhensible qu’ils continuent à soutenir des acteurs qui continuent à aggraver leur dette climatique plutôt que d’œuvrer à la résorber. Le soutien des investisseurs aux entreprises développant leurs capacités fossiles entre également en contradiction avec leurs propres engagements à la neutralité carbone et à la décarbonisation de leur portefeuilles.

Malheureusement, les politiques d’engagement demandant explicitement l’arrêt du développement de nouveaux projets pétroliers et gaziers sont quasiment inexistantes. En France à l’heure actuelle, seuls la Banque de France, CNP Assurances et MAIF l’ont intégré à leur démarche d’engagement et de vote. Une fois cette demande formulée, elle doit être adossée à une stratégie d’escalade claire et lisible pour les entreprises du secteur: l’arrêt des nouveaux investissement est le préalable indispensable, assorti à des votes sanctions lors des AG de 2022 et 2023 et des désinvestisssements ciblés début 2023 et début 2024 (voir l’encadré “pour aller plus loin ci-dessous”)

Les AG de 2022 seront un moment de vérité pour “l’engagement actionnarial” en faveur du climat. Pourtant, la plupart des investisseurs apparaissent encore mal préparés sur les trois enjeux majeurs qui structureront les débats cette année. Les AG de 2022 risquent donc de voir prévaloir des votes au cas par cas et à géométrie variable. Face à ce risque, les investisseurs peuvent encore mettre en place un plan d’action simple, en trois points:

  1. Faire barrage aux plans climatiques lacunaires ou non alignés sur l’Accord de Paris.
  2. Sanctionner les entreprises ne disposant toujours pas de plans satisfaisants de sortie du charbon.
  3. Mettre l’impératif d’arrêt de l’expansion pétro-gazière au centre de leur dialogue avec les entreprises du secteur, et en prenant de premières sanctions à l’égard de celles qui persistent à développer de nouveaux projets.

Pour aller plus loin : exemple de stratégie d’escalade pour stopper l’expansion pétro-gazière

Notes :

  1. Le Sustainable Investment Institute a ainsi recensé une augmentation de 23% du nombre de résolutions environnementales et sociales présentées aux AG entre 2021 et 2022.
  2. TotalEnergies, Shell, BP, Equinor et Respol.
  3. Urgewald, “Financing the Coal Exit List”, 2021
  4. Notamment pour les investisseurs les ayant exclus mais les conservant dans leurs portefeuilles en gestion passive
  5. Voir notre rapport « Engagement actionnarial : les investisseurs au service du statu quo » (Reclaim Finance, 2022).