Reclaim Finance publie une analyse du plan climat d’Engie, révisé en vue de l’Assemblée générale le 24 avril prochain. Cette analyse souligne l’absence d’avancées en faveur de la sortie du gaz fossile et indique des recommandations pouvant guider les décisions des acteurs financiers.
ENGIE est l’un plus gros producteurs d’électricité au monde, avec plus de 100 GW de capacités de production installées, dont presque la moitié est constituée de centrales à gaz fossile (1). ENGIE soumettra son plan climat au vote des actionnaires via la présentation d’un “Say on Climate”. Son analyse montre qu’aucune mesure n’est présentée pour anticiper et planifier la nécessaire sortie du gaz fossile et aligner son objectif de décarbonation sur le scénario ‘Net Zero Emissions by 2050’ (2) de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) (3). Qui plus est, ENGIE poursuit sa stratégie d’expansion gazière au travers de nouveaux projets de centrales à gaz, d’extensions de terminaux d’importation de gaz naturel liquéfie (GNL), et la signature de nouveaux contrats d’importation de GNL à long-terme.
Absence d’évolution sur le gaz fossile
Près de la moitié des capacités de production installées d’ENGIE sont des centrales à gaz fossile. Son nouveau plan climat 2025 ne mentionne aucune baisse de ces capacités par rapport à 2024. Leur niveau devrait donc se situer dans la continuité des cinq dernières années (4), loin de la dynamique qu’il faudrait amorcer pour maintenir le réchauffement planétaire à 1.5°C maximum. Les capacités gazières d’ENGIE n’ont que très peu évolué sur cette période, passant de 52,5 GW en 2020 à 49,2 GW en 2023. Tout comme leur part dans le mix énergétique de l’entreprise, restant relativement stable autour des 50% : 51,9% en 2020, 49,2% en 2023.
ENGIE – Capacités installées de gaz fossile (GW)

Part du gaz fossile dans le mix énergétique d’ENGIE (en capacités installés)

Le plan climat ne comporte pas d’annonce de date de sortie du gaz fossile, ni de plan de sortie par actif gazier. Il ne comporte pas non plus d’élément sur la fin des projets d’expansion, comme la centrale à gaz de Nimègue aux Pays-Bas ou l’extension des deux terminaux d’import de GNL en France (5). Des projets non seulement incompatibles avec les objectifs climatiques des pays concernés (6), mais qui plus est non nécessaires pour leur sécurité d’approvisionnement en électricité (7). L’annonce d’un arrêt des signatures de contrat d’importation de GNL à long-terme, qui se sont se multipliées ces dernières années (8), est également absente de ce nouveau plan. Ils contribuent pourtant au développement de nouveaux terminaux d’exportation de GNL, et à l’enfermement dans une trajectoire carbonée.
Une augmentation limitée sur les renouvelables, qui n’efface pas le gaz
Une note positive de ce nouveau plan climat réside dans l’augmentation de 5 GW de l’objectif de développement de capacités d’énergies renouvelables par rapport à l’année dernière – portant le total à 95 GW en 2030 (9). Notamment dans une période où d’autres principaux producteurs d’électricité revoient leurs ambitions à la baisse (10).
Il est légitime de s’interroger sur le sens à donner à ces développements, aussi importants soient-ils, dans une stratégie qui continue à s’appuyer fortement sur des ressources aussi émissives que le gaz fossile. Décarboner l’approvisionnement en électricité nécessite bien que les nouvelles capacités d’énergies renouvelables viennent remplacer les capacités fossiles, et non s’y superposer.
Toujours hors trajectoire 1.5°C
En conséquence de son manque d’engagement sur le gaz fossile, ENGIE reste bloqué sur une trajectoire « well below 2°C » et ne peut augmenter son ambition vers un scénario 1.5°C, à l’inverse de plusieurs de ses homologues, comme Iberdrola, Statkraft ou encore Enel (11). Il en va de même pour son objectif de décarbonation toujours fixé à 2045 et incompatible avec le scénario NZE de l’AIE (12), qui implique une décarbonation du secteur de l’électricité à 2035 dans les économies avancées et 2040 dans les autres pays.
Le rythme de sortie des énergies fossiles est également crucial pour tenir une trajectoire 1,5°C. En cela, ENGIE devrait être en mesure de fournir un plan de sortie détaillé, centrale par centrale, de ses actifs de gaz fossile et de charbon (13). On n’observe d’ailleurs pas de changement non plus dans les dates de sortie du charbon, ni de volonté de fermer – et non vendre ou convertir au gaz – l’ensemble de ces centrales au charbon.
Une stratégie de diversification qui reste ancrée dans le gaz
ENGIE présente une volonté de diversification des technologies, axée sur différents types de gaz. Les gaz verts, l’hydrogène (14), et le biométhane, associés à des « actions d’absorption carbone » et des « crédits carbone de type séquestration » sont toujours présentées par ENGIE comme des solutions alternatives satisfaisantes (15). Pourtant, ces technologies montrent d’importantes limites (16) et risquent fortement de perpétuer un système fossile. En effet, elles présentent de grandes incertitudes sur leur rythme de développement et s’appuient sur les mêmes infrastructures que le gaz fossile – centrales et réseaux de distribution. L’objectif de production de 4 GW d’hydrogène à 2035 avait d’ailleurs été repoussé de 5 ans lors de l’AG 2024 en raison de “difficultés importantes sur le développement de l’hydrogène vert” (17).
Dans la lignée de cette stratégie, l’analyse des CAPEX 2025-2027 de l’entreprise mène au même constat. La part allouée aux technologies fossiles ne prévoit quasiment aucune baisse par rapport à celle de la période 2024-2026, contrairement à ce que l’on pourrait attendre d’une trajectoire de sortie alignée sur la science climatique.
CAPEX (Md €)(18) | CAPEX (%) | |||
---|---|---|---|---|
2024-2026 | 2025-2027 | 2024-2026 | 2025-2027 | |
Production bas carbone | 14,5 | 13 | 57,3 % | 58,8 % |
Infrastructures bas carbone | 2,5 | 2,8 | 9,7% | 15,1% |
Production gaz vert et batteries | 3,5 | 2,5 | 13,6% | 8,4% |
Production d’énergie via le gaz fossile et infrastructures non alignées |
2,5 | 2,2 | 9,7% | 9,8% |
CAPEX non couvert taxonomie | 2,5 | 2,0 | 9,7% | 7,9% |
Tableau 1 : Distribution des CAPEX d’ENGIE sur les périodes 2024-2026 et 2025-2027
En comparaison, des énergéticiens comme Iberdrola ou Statkraft, n’allouent plus aucun CAPEX à la production d’électricité fossile.
On note également que la définition des catégories faite par ENGIE ne permet pas une compréhension claire de ses investissements, mêlant l’ensemble des technologies dites « bas carbone » (19) d’une part, et mélangeant la production de « gaz verts » au stockage par batteries (20) d‘autre part. Une catégorisation plus granulaire serait nécessaire pour bien évaluer la stratégie d’investissement de l’entreprise.
Une ambition et une transparence à renforcer
Ce plan climat 2025, qui sera présenté en Assemblée générale aux actionnaires d’ENGIE, apporte très peu de changements par rapport au précédent. La poursuite de l’expansion gazière et le refus de prendre en main une sortie anticipée, planifiée et cohérente du gaz fossile restent ses angles morts climatiques, et se reflètent dans ses indicateurs clés. L’énergéticien se trouve à rebours de son ambition d’être le « leader de la transition énergétique », et accuse un retard notable par rapport à d’autres producteurs d’électricité en Europe comme Iberdrola, Statkraft ou même Enel (21) – notamment sur ses objectifs net zero et la sortie du gaz fossile -, et par rapport à une trajectoire de décarbonation 1.5°C. Atteindre un tel statut nécessiterait l’adoption d’une politique de décarbonation bien plus rapide et ambitieuse, incluant avant tout l’engagement à mettre fin à l’expansion gazière.
Pour favoriser de telles avancées, et permettre une révision plus régulière du plan climat d’ENGIE, une coalition d’actionnaires d’ENGIE interpelle l’entreprise depuis plusieurs années, notamment en questionnant sa stratégie gazière et soulignant le besoin d’adopter un plan de sortie aligné sur une trajectoire climatique viable. En 2023, un groupe d’investisseurs a déposé une résolution indiquant les indicateurs climat qu’ils souhaitent voir figurer dans son plan climat et demandant l’organisation d’un vote annuel sur sa mise en œuvre, ainsi qu’un vote a minima tous les trois ans sur son contenu. Elle avait recueilli l’approbation de 24,4 % des actionnaires, soit 43 % hors Etat français et Caisse des dépôts (22), ce qui avait amené Jean-Pierre Clamadieu, président du conseil d’administration du groupe, à déclarer “qu’une partie importante [des] actionnaires a soutenu cette résolution” et que “nous allons donc devoir en tenir compte pour améliorer le dialogue actionnarial” (23). Depuis, le Comité d’Administration d’ENGIE n’a pas jugé utile d’améliorer la transparence de son plan climat, ainsi que ses modalités de mise en œuvre, auprès de ses actionnaires. Le constat établi à l’aune de sa nouvelle stratégie climat devrait encourager l’entreprise à revoir sa position, et les actionnaires à exiger plus de transparence.
Recommandations
Face à ce constat, nous appelons l’ensemble des acteurs financiers qui soutiennent ENGIE à exiger de l’entreprise un engagement à ne plus développer d’infrastructures de gaz fossiles, à adopter un plan de sortie du gaz aligné sur une décarbonation du secteur de l’électricité à 2035 / 2040 (24), et à y conditionner l‘accès aux services financiers.
Sans plus attendre, nous appelons aussi les actionnaires d’ENGIE à profiter de l’AG pour sanctionner l’absence de progrès sur le gaz fossile, en votant contre le « Say on Climate » et le renouvellement du mandat de l’administratrice Catherine MacGregor, qui est également la directrice générale de l’entreprise et responsable de la stratégie climatique actuelle d’ENGIE. S’opposer à la réélection d’un administrateur pour des raisons climatiques enverra un signal fort à ENGIE, indiquant que ses actionnaires considèrent la question climatique comme une composante essentielle de la stratégie globale de l’entreprise.