Le 2 juillet 2019, la place financière de Paris s’engageait à adopter des politiques pour sortir progressivement du charbon. Trois ans plus tard, les engagements pris ont-ils été tenus ? Sur le papier, la France est sur la bonne voie : la quasi-totalité des banques, assureurs et investisseurs se sont engagés vers une sortie du charbon. La réalité est malheureusement plus nuancée : des politiques permettant encore de soutenir des entreprises développant de nouveaux projets charbon, absence de calendrier de sortie du charbon, application lacunaire des politiques, non-respect des engagements pris… Tour d’horizon des défis qu’il reste à relever pour (réellement) tourner la page du charbon.

Sur le papier, les statistiques effectuées à partir du Coal Policy Tool sont rassurantes : 54 acteurs financiers français, soit la quasi-totalité des principaux acteurs de la Place financière de Paris, ont désormais adopté une politique pour réduire leurs soutiens au charbon (1). En prime, un des deux géants qui manquaient à l’appel (2) – Agirc-Arrco – devrait enfin rendre public ses premières mesures prochainement. Leur portée réelle reste à confirmer mais il faut espérer que le régime de retraite n’investira plus les droits futurs de près de 19 millions de salariés dans une énergie du passé.

De nombreuses failles restent à corriger

Si les politiques se renforcent au fil de l’eau, avec au moins 11 institutions financières y ayant ajouté des mesures supplémentaires depuis le 2 juillet 2021, elles n’en restent pas moins faibles sur de nombreux points. 8 des 54 acteurs avec une politique n’ont pas encore d’exclusion des développeurs ou de dates de sortie du secteur alignées avec la science climatique;

La gestion passive bénéficie globalement d’un régime d’exception, ce qui ne manque pas d’inquiéter l’ACPR et l’AMF.

Fonds passifs : le trou noir d’Amundi

Amundi, qui gère plus de 1800 milliards d’euros, soutient encore certains des plus gros opérateurs et développeurs de charbon via ses fonds passifs non-ESG. En effet, si le géant de la gestion d’actifs français a adopté des critères d’exclusion robustes pour les entreprises du secteur du charbon, il ne les applique qu’aux fonds gérés activement ainsi qu’aux fonds ESG gérés passivement. Autrement dit, tous les fonds non ESG gérés passivement, soit la majorité de la gestion passive d’Amundi, ne sont pas couverts par la politique d’exclusion. Cela explique pourquoi Amundi détient toujours des actifs dans des entreprises comme Glencore.

La bonne nouvelle, c’est qu’Amundi s’est engagé à augmenter le nombre de fonds ESG. Mais la mauvaise nouvelle, qui annule la bonne, est qu’Amundi prévoit aussi d’augmenter les montants gérés via des fonds gérés passivement (4) sans garantie que toute la croissance sera tirée exclusivement par celles des fonds ESG. Et bien entendu, rien n’indique que les actifs “non ESG” aujourd’hui détenus diminueront en montant absolu, ou qu’aucun nouvel investissement ne sera réalisé dans des développeurs de charbon via les fonds actuels non ESG.

En se basant sur les prévisions de croissance d’Amundi, ce trou dans la raquette signifie qu’en 2025, plus de 252 milliards d’euros pourront encore être investis dans des développeurs de charbon. Une vraie bonne nouvelle serait donc un engagement par Amundi à appliquer ses exclusions charbon à l’ensemble de sa gestion passive d’ici quelques années, avec des objectifs de croissance intermédiaires.

Les banques françaises sous surveillance renforcée

Fin 2021, Reclaim Finance plaçait les grandes banques françaises sous “surveillance renforcée”. En effet, elles se sont fixées comme date butoire fin 2021 pour exclure de leurs portefeuilles les entreprises qui n’ont pas adopté de plan de sortie crédible et alignés sur leur calendrier. Mais elles pourraient être tentés de maintenir leurs soutiens à leurs bons clients de l’industrie du charbon, quitte à fermer les yeux sur leurs développements dans le secteur. Pour les aider à tenir leurs promesses, Reclaim Finance a évalué les plans de ces entreprises dans la CoalWatchList.

Notre recherche financière confirme que cette surveillance renforcée était nécessaire. En mars 2022, nous révélions que Crédit Agricole a enfreint sa propre politique trois ans après l’avoir adoptée…En effet, Crédit Agricole a accordé en 2021 des soutiens à entreprises, comme Glencore et Marubeni, qui pourtant, développent activement de nouvelles mines et centrales à charbon à travers le monde. Espérons que ce rappel à l’ordre suffise à pousser la banque soi-disant verte à se mettre aux normes une fois pour toutes.

Que font les régulateurs ?

Espérons-le car les régulateurs, AMF et ACPR, ne semblent pas prêts à durcir le ton, malgré la publication de deux rapports critiques de la faiblesse voire de l’échec des acteurs financiers à donner pleinement suite aux appels du Ministre Bruno Le Maire à adopter des politiques de sortie du charbon (5) et des pétrole et gaz non conventionnels (6).

On comprend toutefois leur absence de volontarisme, dans un contexte où certains acteurs financiers et fédérations professionnelles ignorent les recommandations publiées en 2021 par le comité scientifique de l’Observatoire de la Finance Durable (qu’ils ont pourtant eux-mêmes institué). Le gouvernement se montre, au mieux démissionnaire, au pire complice, du maintien des soutiens financiers privés à certaines des pires pratiques et entreprises des énergies fossiles. Car il faut rappeler qu’en 2018, Bruno Le Maire avertissait qu’il rendrait contraignant l’adoption de mesures précises pour sortir du charbon si les banques, assureurs et gestionnaires d’actifs ne les adoptaient pas d’eux-mêmes (7). Mais 3 ans plus tard, loin de sanctionner ceux qui n’ont pas pleinement jouer le jeu, le gouvernement s’est contenté de commander, au Président d’Amundi Yves Perrier, un énième rapport destiné officiellement à identifier les mesures à mettre en place pour aligner la Place financière de Paris avec l’objectif 1,5°C. En vérité, en se contentant de recommander l’adoption de “stratégies transparentes et comparables de sortie de l’ensemble des énergies fossiles”, le rapport ne fait que repousser à plus tard l’impérieux besoin de sanctionner.

Quand de nombreuses personnalités s’inquiètent de la transformation de Finance For Tomorrow en Institut de la Finance Durable, il faut toutefois espérer que l’augmentation annoncée des moyens servira à ancrer la Place de Paris dans une vraie dynamique de changement à-même de soutenir les objectifs de sortie du charbon mais plus largement de transformation du secteur énergétique, hors des énergies fossiles et en soutien aux populations et travailleur-se-s dépendantes du charbon, du pétrole et du gaz.

Notes :

  1. Les statistiques présentées dans cet article ont été calculées à partir du Coal Policy Tool français suite à une revue  fin juin 2022 des dernières politiques charbon adoptées par les acteurs financiers français et mises en ligne sur leur site internet, mais Reclaim Finance n’a pas contacté directement les acteurs
  2. L’année dernière, nous interpellions Agirc-Arrco et Natixis Investment Management, les deux poids lourds aux abonnés absents.
  3. Les 4 autres institutions financières sans critère d’exclusion explicite des développeurs sont : ERAFP, FRR, TOBAM et ECOFI. Ils ont fixé des seuils d’exclusion relatifs mais trop élevé pour exclure tous les développeurs du secteur du charbon.
  4. €282 milliards d’encours gérés passivement aujourd’hui et €420 milliards prévus en 2025
  5. En 2018, Bruno Le Maire annonçait “Je réunirai donc dans les prochaines semaines les banques, les assureurs, les gestionnaires d’actifs pour qu’ils prennent de nouveaux engagements [et] qu’ils arrêtent définitivement de financer les activités les plus nocives pour le réchauffement climatique, en particulier le charbon […”. En 2019, il réitérait : “Chaque acteur financier va définir et rendre public sa stratégie de sortie du charbon d’ici à mi-2020.Plusieurs banques ont déjà dévoilé leur stratégie. Les principaux assureurs, qui représentent 90 % des actifs gérés par la profession, ont déjà une stratégie de sortie du charbon. Des banques, des assurances et des gestionnaires d’actifs ont précisé une date de sortie définitive du charbon en Europe en 2030. J’appelle tous les autres acteurs financiers à faire de même et à publier rapidement une stratégie charbon ambitieuse. En 2020, il appelle les acteurs financiers à “adopter des critères communs de désengagement financier” du charbon.
  6. En novembre 2020, dans un communiqué, les Ministres “invitent également la Place de Paris à développer une stratégie de sortie du financement des activités pétrolières non-conventionnelles. Tout comme l’Etat le fait pour ses financements exports, la Place de Paris doit amorcer une réflexion pour arrêter de financer ces activités non-conventionnelles”.
  7. Le verbatim du discours de Bruno Le Maire, lors du Climate Finance Day de 2018, ne laisse aucune place au doute : “Les engagements doivent être précis, les engagements doivent être contrôlés et si jamais ces engagements, sur une base volontaire, définis ensemble, ne sont pas respectés, ils seront rendus contraignants ».

Pour aller plus loin :