RECONNAITRE L’URGENCE CLIMATIQUE & REPOUSSER L’ACTION : LE NUMERO DE FUNAMBULE DE LA BCE

Lundi 27 avril, 45 ONG européennes dont Reclaim Finance écrivait à Christine Lagarde pour lui demander de mettre le climat au centre de l’action de la Banque Centrale Européenne (BCE). Le 20 mai, la Présidente de la BCE répondait à cette lettre.

Sa réponse résume la position climatique de la BCE dans le contexte de la crise du Covid-19. Se faisant, elle met à jour toutes ses ambiguïtés : la BCE reconnait l’urgence de la lutte contre le changement climatique et admet qu’elle doit être intégrée à ses missions tout en refusant de prendre ses responsabilités et d’appliquer ses propres préconisations et analyses à ses opérations.

Le nuro de funambule de la BCE se déroule en trois actes.

Reconnaître l’urgence climatique…
Mais rester aveuglément concentré sur le très court-terme

Pour Christine Lagarde, la BCE est en train « d’explorer tous les champs dans lesquels elle peut utilement participer à la lutte contre le changement climatique ». Malgré la pandémie, la Présidente assure que leurs travaux et réflexions sur le sujet ne se sont pas arrêtés. En effet, la Président souligne avec justesse que « la pandémie est un rappel que nous devons renforcer la résilience de nos sociétés et économies aux chocs exogènes », une vue partagée par beaucoup, y compris par la Banque de France.

Cependant, les mesures concrètes prises par la BCE en réponse à la crise sont à des années lumières de ces paroles : les banques sont financées à des taux historiquement bas en déposant même les actifs les plus polluants et la BCE pourrait acheter jusqu’à 132 milliards d’euros de titres de ces entreprises via les seuls rachats liés au Covid.

De plus, la BCE et les autres superviseurs ont considérablement assouplis les règles prudentielles. Ces mesures sont compréhensibles pour dépasser le pic de la crise, mais, si elles persistent, affaibliront considérablement notre résistance aux chocs exogènes.

Prétendre soutenir le « vert »…
Et oublier le « brun » et les énergies fossiles

Afin de crédibiliser ses dispositions vertes, Christine Lagarde argumente que le nouveau Pandemic Emergency Purchase Program (PEPP) conduira la BCE à acheter des obligations vertes, contribuant ainsi à la transition écologique. Sans même s’épancher sur le fait que les obligations vertes ne le sont pas toujours et doivent être considérées avec la plus grande précaution, la déclaration de la Présidente est – au mieux – trompeuse.

La Présidente indique que le PEPP est construit « pour être large et flexible de manière à supporter ces impacts les plus larges possibles et à éviter les distorsions de certains segments du marché », un raisonnement typique du principe de neutralité de marché. En suivant ce principe de neutralité de marché, la BCE essaie de reproduire la structure générale du marché, ce qui induit l’achat de quelques « actifs verts ». Ce qui ne signifie pas pour autant que la BCE supporte « l’effort croissant des entreprises » pour réduire leur empreinte carbone. Au contraire, la détention par l’Eurosystème de « 20% des titres verts éligibles » que la Présidente évoque dans sa réponse signifie que ces banques détiennent seulement 6 milliards de ces titres environ 3% des achats, et la plupart des actifs d’entreprises achetés contribuent à un monde très carboné.

Les rachats d’actifs d’entreprises financent 38 entreprises des énergies fossiles, dont 10 actives dans le charbon et 4 dans le pétrole et gaz de schiste. Comme Shell et Total, nombre de ces entreprises prévoient d’accroître fortement leurs productions d’énergies fossiles dans les prochaines années. Au total, 63% des rachats vont aux firmes et activités les plus polluantes : le portefeuille de la BCE est même plus carboné que le marché !

Appeler les autres à agir…
Et oublier de le faire soi-même

Christine Lagarde est particulièrement claire : la BCE pousse pour une « relance verte » et la crise est l’opportunité pour l’UE, les Etats Membres et les entreprises d’accélérer et de financer la transition écologique. Elle appelle la Commission Européenne et les Etats Membres à suivre le Green Deal et à accélérer la mise en place de la stratégie finance durable.

Cependant, les opérations de la BCE ne suivent ni l’ambition ni les éléments de cette stratégie. En effet, la stratégie finance durable intègre un nouveau référentiel des investissements – le EU Paris-Aligned Benchmark – et un nouvel Ecolabel qui incluent tous les deux des exclusions d’énergies fossiles et ciblent l’alignement sur une trajectoire de 1.5°C ou 2°C. La BCE n’a aucun plan pour appliquer de tels critères à ces opérations.

Alors que la BCE met régulièrement en avant son travail sur les risques financiers climatiques, les progrès tardent à se concrétiser. La BCE est toujours en train d’acquérir et de diffuser les connaissances sur le sujet. Aucune obligation n’a été mise en place ou annoncée pour accroître la résilience et – comme la pandémie l’a montré – le système économique et financier reste très vulnérable aux chocs globaux.

Pour affronter ces difficultés, la BCE doit adopter une approche de précaution qui réduit les flux financiers dirigés vers les actifs les plus polluants en tirant parti des informations qu’elle possède déjà.

De plus, la BCE encourage les institutions financières à intégrer les risques climatiques mais n’a rien fait pour le faire elle-même. Les risques climatiques ne sont pas pris en compte dans la liste de collatéraux – les actifs en échange desquels les banques se refinancent – ou dans les rachats d’actifs. La BCE envoie un signal contradictoire aux marchés et contribue à la valeur des actifs polluants.

En période de crise, son intervention massive couplée à l’absence de critères climatiques suggère que la banque centrale continuera à sauver l’économie, peut importe ses impacts écologiques. Par ailleurs, la BCE demande aux banques de publier des informations détaillées sur leurs expositions aux risques climatiques mais refuse toujours de publier la valeur des actifs d’entreprises détenus et la liste des actifs détenus au titre de deux programmes de quantitative easing.

Baisser le rideau

Le numéro de la BCE a assez duré. La BCE doit renoncer à l’hypocrisie de la neutralité de marché et opter résolument pour une politique monétaire et prudentielle qui soutient les objectifs climatiques et accroît la résilience face aux risques climatiques.

Quand elle parle des obligations vertes, Christine Lagarde interprète les achats d’actifs d’entreprises de la BCE comme supportant un secteur ciblé de l’économie. Selon cette logique, les opérations de la BCE ne sont pas neutres mais ont des conséquences palpables sur les marchés. Par conséquent, quand la BCE achète les obligations d’entreprises des énergies fossiles elle finance le changement climatique et pénalise l’atteinte des objectifs européens.

La BCE doit commencer par adapter ces outils monétaires pour arrêter de financer les activités polluantes et envoyer un signal fort aux marchés :

  • Les achats d’actifs d’entreprises doivent être réservés à celles qui s’aligne sur une trajectoire de réchauffement à 1.5°C et adoptent les plans de sortie des énergies fossiles appropriés.
  • Les actifs les plus polluants doivent être exclus de la liste de collatéraux de la BCE, en commençant par les énergies fossiles.

La BCE doit adopter une approche de précaution concernant les risques financiers climatiques en poussant les acteurs financiers à adopter des politiques de désengagement des énergies fossiles et d’alignement avec une trajectoire 1.5°C :

  • Les obligations de fonds propres des institutions non alignées avec une trajectoire 1.5°C doivent être accrues pour refléter les risques climatiques, en commençant par les institutions les plus exposées aux énergies fossiles.
  • Une fois la crise passée, les « coussins contracycliques » peuvent être augmentés pour refléter l’exposition globale aux secteurs très carbonés.
  • Les lignes directrices et recommandations de la BCE doivent inclure des exclusions d’énergies fossiles et l’adoption de plans d’alignement sur une trajectoire 1.5°C.
  • Les banques qui ont adopté des objectifs alignés sur l’Accord de Paris et effectuent un suivi public et annuel de ceux-ci pourraient bénéficier de condition de refinancement de long-terme préférentielles

Enfin, la BCE doit montrer l’exemple en matière de transparence financière en publiant des informations détaillées sur ses opérations, notamment la valeur individuelle des titres d’entreprises détenus.